
LE MODELE FIRM-CENTRIUC DES PANELS JURIDIQUES: UNE LOGIQUE DE CONFORT A RECONSIDERER
Dans un contexte marqué par la professionnalisation croissante des fonctions juridiques internes, la gouvernance de la dépense juridique s'impose comme un levier stratégique de performance, de transparence et de redevabilité. Parmi les instruments mobilisés pour encadrer les relations avec les conseils externes, le panel juridique s’est progressivement imposé comme un outil de rationalisation des achats de services juridiques. Toutefois, l’efficacité de cet outil dépend largement du modèle sous-jacent à sa structuration. En particulier, l’approche dite firm-centric, qui privilégie une logique centrée sur les cabinets d’avocats eux-mêmes plutôt que sur les expertises mobilisées ou les besoins opérationnels, révèle de nombreuses limites, tant stratégiques que budgétaires et opérationnelles.
Le modèle firm-centric : définition et logique d'action
Un panel juridique qualifié de firm-centric repose sur une sélection limitée de cabinets, généralement de premier plan, choisis pour l’étendue de leur offre, leur réputation ou la relation historique entretenue avec l’entreprise. Ce modèle privilégie la consolidation des volumes d’honoraires auprès d’un nombre restreint de prestataires, dans une perspective de stabilité relationnelle et de négociation tarifaire, souvent fondée sur des engagements pluriannuels. Il s’inspire ainsi des logiques d’achat consolidé, caractéristiques des pratiques traditionnelles du procurement.
Les bénéfices présumés du modèle
De prime abord, le modèle firm-centric semble répondre à plusieurs objectifs légitimes. Il offre une garantie de continuité, assure la sécurisation d’un portefeuille de partenaires de confiance, et facilite la gestion administrative et contractuelle. Il permet également de capitaliser sur une connaissance approfondie de l’environnement juridique de l’entreprise, de limiter les coûts de transaction liés à la mise en concurrence systématique, et d’optimiser certaines conditions financières à travers des économies d’échelle et des remises contractuelles.
Limites structurelles et effets contre-productifs
Toutefois, une analyse approfondie de la performance réelle des panels juridiques structurés selon ce modèle met en évidence plusieurs écueils majeurs :
1. Une inadéquation fonctionnelle entre l’offre et la demande
En favorisant des cabinets généralistes à l’offre pléthorique, le modèle firm-centric tend à imposer des prestataires peu adaptés aux besoins spécialisés. Il en découle un désalignement entre la nature des missions confiées et l’expertise mobilisée, générant un surcoût non négligeable pour des prestations qui pourraient être assurées plus efficacement et à moindre coût.
2. Une rigidité nuisible à la diversité des besoins opérationnels
En centrant la sélection sur des entités plutôt que sur les expertises, le modèle restreint la flexibilité d’allocation des ressources externes. Les directions opérationnelles se trouvent alors contraintes de recourir à des interlocuteurs uniques, indépendamment des spécificités techniques de leurs problématiques, ce qui nuit à la réactivité, à l’agilité, et à la performance globale.
3. Un affaiblissement de la transparence économique
La concentration des flux financiers sur un nombre restreint de prestataires induit une dépendance mutuelle peu propice à une évaluation objective. La traçabilité des coûts, la comparaison inter-cabinets et la mesure de la valeur ajoutée deviennent complexes, réduisant la capacité de la direction juridique à piloter efficacement sa dépense externe.
4. Un frein à l’innovation et à la diversification des solutions
En marginalisant les nouveaux entrants – legal techs, boutiques spécialisées, prestataires alternatifs – le modèle firm-centric freine l’intégration d’initiatives innovantes et de modèles économiques disruptifs. Cette inertie organisationnelle compromet la transformation digitale de la fonction juridique et prive l’entreprise d’opportunités de performance différenciante.
Vers une approche need-centric : un paradigme plus efficient
En rupture avec cette logique centrée sur l’offre, une approche need-centric propose de structurer les panels non à partir des prestataires mais en fonction d’une cartographie fine des besoins juridiques. Dans ce modèle, chaque catégorie de besoin – qu’il s’agisse d’un domaine de droit, d’un type de mission, de sa criticité ou de sa localisation – est associée à un portefeuille adapté de partenaires sélectionnés selon leur performance, leur efficience et leur valeur différenciante.
Ce modèle granulaire, fondé sur une approche data-driven, permet un pilotage précis des coûts, une mise en concurrence ciblée et une plus grande maîtrise de la dépense unitaire. Il favorise également l’expérimentation, l’ouverture à des acteurs innovants, et renforce la position stratégique de la direction juridique dans la chaîne de valeur de l’entreprise.
Conclusion
Bien qu’encore largement répandu, le modèle firm-centric repose sur une logique de confort relationnel et de continuité contractuelle qui montre aujourd’hui ses limites face aux exigences contemporaines de performance, de redevabilité et d’efficience économique. Pour que le panel juridique joue pleinement son rôle de levier de transformation, il convient de réorienter sa structuration vers un modèle need-centric, articulé autour de données objectives, d’indicateurs de performance tangibles, et d’une gouvernance renouvelée. C’est à cette condition que la direction juridique pourra aligner ses choix de prestataires sur une stratégie de création de valeur durable.
Denis SAURET - 30 avril 2025